"Si j’avais été là, jamais je n’aurais choisi cette équipe" nous glissa un soir de l’automne 2019 un Gérard Collomb dubitatif et n’ayant toujours pas digéré qu’Alain Flourent, alors directeur du projet pour la Compagnie de Phalsbourg, présente cette salle Rameau 2.0 comme "une Olympia à la Lyonnaise" lors d’une conférence de presse en mai 2019. "On a des références à Lyon, il aurait pu la comparer au Palais d’Hiver !", ajouta l’ancien maire, glissant une peau de banane sous les pieds de son ancien premier adjoint, Georges Képénékian, à la manœuvre lors du processus de sélection.
C’était en 2018 et 13 candidats avaient déposé un dossier, dont le Ninkasi et Jean-Pierre Pommier, recalés. Urban Project (La Commune), comme les Chevaliers du Fiel, s’inclinèrent en finale face au promoteur immobilier Compagnie de Phalsbourg associé au Groupe SOS / Scintillo.
S’ensuivit la conférence de presse suscitée, avec promesse d’un concert de Wynton Marsalis pour inaugurer la salle en septembre 2021. Steven Hearn (Scintillo) absent, laissait Alain Flourent se débrouiller pour parler du contenu, sujet qui n’était pas le sien — d’où la bourde sur l’Olympia qui continue de coller à cette future salle Rameau comme le sparadrap du capitaine Haddock.
Le groupe SOS optera pour un silence radio qui perdure, puisque le service communication nous a répondu ceci : "Le secteur culture du Groupe SOS collabore avec la Compagnie de Phalsbourg exclusivement pour l’exploitation culturelle du lieu, une fois que le chantier sera livré. (...) De fait, à ce stade, nous n’avons pas d’informations pertinentes à partager avec vous. Il faudrait contacter directement la Compagnie et/ou la ville de Lyon."
Sylvain Godinot, l’adjoint au Patrimoine chargé du dossier, a refusé de nous répondre, nous renvoyant vers la Compagnie de Phalsbourg. Laquelle s’est fendue d’un communiqué le 2 juin et nous assure via son service communication que la reprise des travaux est un "gage de la détermination des parties communes" pour enfin aboutir à quelque chose.
Sont toujours prévus un tiers-lieu dans l’ancienne salle de billards, avec une scène “tremplin” et des conférences ; une salle de spectacles — avec un nombre de dates semblant se réduire —, et une offre de restauration. Tout ceci ressemble à un dossier pas vraiment ficelé.
Mais le projet initial a subi deux coups de massue : la crise Covid, qui a tout mis à l’arrêt et causé une inflation générale des coûts. Et l’arrivée de l’exécutif écologiste aux manettes, qui a d’emblée souhaité discuter d’une refonte du projet.
Les réunions furent pour le moins animées, les nouveaux élus ayant mis le doigt sur de réels problèmes — les fameux corners de disquaires du sous-sol implantés au cœur d’un quartier où vivent déjà plusieurs boutiques de disques —, mais allèrent aussi trop loin, "étant à la limite de vouloir faire la programmation" nous a raconté l’un des participants. Les concessions accordées aux élus ont fragilisé le modèle économique et tout ceci a laissé des traces.
Et la Compagnie de Phalsbourg a stoppé les travaux, faisant face aux coûts en hausse. Retour à la table des négociations, cette fois pour discuter du bail emphytéotique administratif de 60 ans et de ses conditions, finalement revues à la baisse. Un conflit annexe a ensuite éclaté entre Philippe Journo, son président, et le maire Grégory Doucet, au sujet de l’ouverture le dimanche de The Village à Villefontaine, menaçant : "nous allons réhabiliter la salle Rameau à Lyon. S’ils n’ont pas besoin de nous, on peut aussi s’en aller". La Compagnie de Phalsbourg gère en effet plusieurs centres commerciaux en France à l’instar de The Village, mais est aussi derrière des lieux culturels comme la friche Babcock à La Courneuve
On suppute que la programmation de la grande salle Rameau restera axée sur la chanson française, l’humour et la musique classique. Sans certitudes. Car outre le conflit entre la Ville et les porteurs de projets, il se murmure que la Compagnie de Phalsbourg et le Groupe SOS ne seraient plus sur la même longueur d’ondes. Et la Ville de Lyon a laissé entendre auprès de la Compagnie de Phalsbourg que si son partenaire s’en allait, ça ne gênerait personne.
Reste la question des acteurs locaux : depuis le départ de Rémy Bergeron, qui garantissait le sérieux en matière de connaissance du tissu local, personne semble n’avoir pris le relais. Quelles structures lyonnaises seront impliquées, à part l’Orchestre de Chambre ? Cette salle Rameau, dont l’ouverture était prévue en septembre 2021, devrait finalement voir le jour fin 2026.
Un triste feuilleton loin d’être terminé.
Sébastien Broquet