Marquise-Thérèse de Gorla naît à Lyon en 1633 ou 1634, dans une famille très simple, originaire de Suisse italienne. Son père, Giacomo de Gorla, est un arracheur de dents ambulant, qui s'est attribué le titre d'opérateur du roi pour attirer les clients. Juste avant la naissance de sa fille, il s'était fixé à Lyon. La jeune Marquise, prénom assez en vogue dans la région à l'époque, n'a, semble-t-il, jamais connu sa mère.
Enfant, elle est utilisée par son père pour faire marcher son commerce. Marquise commence sa carrière en paradant pour un arracheur de dents, dévoilant ses jambes aux passants.
Et c'est en dansant place des Jacobins qu'elle attire l'attention de René Berthelot, comédien de la troupe de Molière. A l'époque, dans les années 1650, l'Illustre Théâtre prend ses quartiers d'hiver à Lyon. Bien que cette dernière a perdu de son éclat et ne rivalise plus avec Paris.
L'installation du Théâtre de Molière entre Rhône et Saône ne passe pas inaperçue. La troupe se produit gracieusement devant les malades de l'Hôtel-Dieu et de l'hôpital de la Charité, en échange de la protection des consuls qui administrent la ville et qui siègent dans l'actuel musée de l'Imprimerie. L'homme fort de Lyon, c'est Camille de Neufville, lieutenant-général du Lyonnais, du Forez et du Beaujolais, représentant de l'autorité du roi.
Rémi Berthelot, dont le nom de scène était du Parc, avait toujours des rôles de bon gros naïf. D'ailleurs, le reste de la troupe le surnomme Gros-René. Une sorte de Jacques Villeret du XVIIe siècle !
Et Gros-René s'enflamme pour la jeune Marquise. Allant jusqu'à la demander en mariage et la présenter à Molière. Ce dernier est aussi séduit par la grâce de la Lyonnaise et donne sa bénédiction pour leur union. Le mariage se déroule le 23 février 1653 à l'église Sainte-Croix, aujourd'hui détruite, à proximité de la primatiale Saint-Jean. Témoin du marié, Jean-Baptiste Poquelin signe au bas de l'acte de mariage. Et c'est ce qui reste comme l'une des rares traces écrites de l'un des Français les plus connus de l'Histoire.
Marquise a 19 ans, elle appartient désormais à la troupe de Molière.
Une nouvelle vie, sur les planches
Elle commence modestement, en tenant de petits rôles. Mais sa beauté fait déjà sensation. Et elle voyage avec les comédiens, passant plus de la moitié de l'année à Pézenas dans l'Hérault, où le prince de Conti, gouverneur des Etats du Languedoc et protecteur de la troupe, a sa résidence.
Mais c'est à Lyon en 1655 que la première pièce écrite par Molière, L'Etourdi, est représentée. C'est un succès qui encourage l'auteur à en sortir d'autres. Et en 1656, il écrit une seconde comédie avec Le dépit amoureux. Le premier rôle est un personnage de jeune fille malicieuse et charmante. Marquise remplit ce rôle avec talent et le public est conquis.
Comme avec toutes les jeunes femmes de sa troupe, Molière courtise la Lyonnaise. Mais Marquise ne cède pas à ses avance, restant fidèle à son mari. Gros-René n'était pourtant pas bel homme, mais elle lui était reconnaissante de l'avoir sortie de son milieu.
Éconduit, Molière ne lui en tient pas rigueur. Il continue à lui confier des rôles, de plus en plus importants. Et la troupe se produit à travers la France.
Mais en 1658, la Cabale des dévots éclate. La Compagnie du Saint-Sacrement mène une campagne active pour le retour à la pratique religieuse et contre les divertissements comme le théâtre. Convaincu, le prince de Conti retire son soutien à Molière. Ce dernier, libre de toute attache, part à la conquête de Paris.
Avant de jouer dans la capitale, la troupe s'arrête à Rouen où vit Pierre Corneille qui écrit des pièces et qui fournit d'ailleurs une bonne partie de son répertoire à Molière et ses protégés.
Pierre Corneille, accompagné de son frère Thomas, vient applaudir la troupe et tombe amoureux de Marquise. Elle a 26 ans, lui 52. Le dramaturge la décrit comme "une beauté brune au port majestueux" et lui dédie ses "Stances à Marquise". Mais la Lyonnaise, fidèle à sa réputation, éconduit Corneille, ainsi que son frère, malgré leurs poèmes galants qu'ils lui adressent.
La consécration parisienne
A Paris, où Molière a obtenu la protection du frère du roi, le couple du Parc habite une jolie maison près du Palais-Royal. Ils ont trois enfants, mais un seul survit : une petite Marie-Anne.
Corneille, qui n'a pas perdu espoir de la conquérir, pousse Molière à lui confier le premier rôle féminin de Nicomède, la pièce qu'il vient d'achever.
Pour la première fois, Marquise-Thérèse éclipse l'épouse de Molière, Madeleine Béjart, ainsi que Catherine de Brie, comédienne vedette de la troupe.
La première représentation se déroule dans la salle de garde du Louvre, devant le jeune roi Louis XIV, la reine-mère et toute la cour. Mais c'est un four. Molière et ses comédiens ne sont pas à l'aise avec le répertoire tragique et le roi bâille.
Seule Marquise rallie tous les suffrages avec sa belle voix profonde et grave, capable de prendre les intonations les plus pathétiques. Dans ce spectacle, elle est aussi la vedette d'un intermède de danse qui suscite l'enthousiasme.
Au sommet de sa gloire, elle enchaîne les grands rôles tragiques dans Cinna, Le Cid, Héraclius, La Mort de Pompée… Les chroniqueurs de l'époque évoquent "les ravages provoqués par sa beauté".
Elle continue également à jouer dans des comédies. En 1660, Molière lui confie un des deux premiers rôles des Précieuses ridicules où elle triomphe. Ce qui lui vaut d'être invité par l'homme le plus puissant de la cour dans son château de Vaulx-le-Vicomte, Nicolas Fouquet, surintendant du royaume.
Mademoiselle du Parc devient la reine de spectacles magnifiques. Elle s'impose dans des comédies-ballets orchestrés par le compositeur Jean-Baptiste Lulli, ensorcelle au passage Jean de la Fontaine.
C'est la femme la plus belle du royaume, et Louis XIV lui déclare publiquement son admiration. Il se murmure que le roi est amoureux de la Lyonnaise. Ils ont d'ailleurs dansé toute une nuit ensemble en 1665 au château de Versailles encore en travaux.
Une nouvelle vie, puis la mort, avec Racine
C'est à cette même époque que Jean Racine arrive dans la vie de Marquise du Parc. Ses premiers poèmes et ses odes ont attiré l'attention de la cour, et le jeune poète offre à la Lyonnaise, dont il est aussi tombé amoureux, le rôle d'Antigone. Mais elle refuse, préférant celui d'Elvire, l'épouse bafouée et digne de Dom Juan que lui confie Molière.
Mais Jean-Baptiste Poquelin et ses comédiens excellent de plus en plus dans le comique quand Marquise rêve de tragédies. Et Racine ne la laisse pas indifférente.
La mort de Gros-René en 1664 lui permet de laisser libre cours à son amour pour Racine. Elle quitte l'Illustre Théâtre pour l'Hôtel de Bourgogne et incarne magnifiquement une Andromaque aux désirs ambigus, à la fois vertueuse et coquette.
C'est la consécration. Elle devient "la" du Parc, faite pour incarner des héroïnes raciniennes, dévorées par des passions contradictoires.
Sa liaison avec Jean Racine, de sept ans son cadet, fait scandale. Mais l'actrice refuse de l'épouser. Probablement pour l'épargner d'une mauvaise réputation, lui le jeune poète élevé par une tante janséniste devenue religieuse à la très rigoriste abbaye de Port-Royal. Cette dernière écrivait ainsi à Racine : "J'ai appris avec douleur que vous fréquentiez des gens dont le nom est abominable à toute personne dotée d'un peu de piété. Dans quels abîmes vous êtes-vous jeté ?".
Le scandale ne dure pas longtemps, car Marquise du Parc meurt brutalement dans la nuit du 10 décembre 1668 à l'âge de 35 ans, dans les bras de Jean Racine.
On n'a aucune certitude sur le mal mystérieux qui a foudroyé la Lyonnaise en pleine gloire. Mais quelques années plus tard éclate l'affaire des Poisons en 1677. La principale accusée, Catherine Deshayes, dite La Voisin, révèle que Marquise est "morte empoisonnée de la main de Racine". Cette magicienne et guérisseuse fréquentait le couple.
Mais ses accusations restèrent infondées, d'autant que Louis XIV, effrayé de voir l'ampleur du scandale et par crainte de voir sa maîtresse Madame de Montespan y être mêlée, ordonne la fin de l'enquête. Et La Voisin est brûlée en 1680.
Quant à la théorie de Nicolas Boileau, qui évoqua un avortement clandestin qui conduisit à la mort de l'actrice, elle n'est étayée par aucune preuve.
Jean Racine s'est ensuite démenée pour que Marquise puisse être enterrée chrétiennement, alors que l'Eglise le refusait habituellement aux comédiens. "Trépassé de douleur" derrière le convoi funéraire, le poète se consolera vite dans les bras de la Champmélé, une autre actrice à qui il confie l'année suivante les rôles de Bérénice et d'Iphigénie. Mais sa carrière littéraire s'interrompt pendant une dizaine d'années, éclaboussée par ces accusations. Il deviendra finalement historiographe du roi, c'est-à-dire chroniqueur des faits royaux.
Lyon n'a finalement jamais rendu hommage à l'une de ses plus importantes et talentueuses représentantes. Marquise du Parc reste méconnue, aucune rue ou monument ne porte son nom. Pourtant, la fille de saltimbanque, courtisée par Molière, Louis XIV ou Corneille a été l'une des plus grandes vedettes du pays au XVIIe siècle.