Marcel Achard, l'anti-conformiste du théâtre

Marcel Achard, l'anti-conformiste du théâtre

Né à Sainte-Foy-lès-Lyon, Marcel Achard va marquer l'histoire du théâtre et du cinéma. Touche à tout génial, ce Lyonnais myope et timide quitte rapidement sa ville pour Paris où il sera lancé par un autre Lyonnais, l'écrivain Henri Béraud. Il écrira une centaine de pièces et de films, découvrira de nombreux talents comme Arletty, Danielle Darrieux, Michèle Morgan, Louis Jouvet…

Le père de Marcel Achard quitte sa Drôme natale en 1883 à l'âge de 20 ans. Marcel Ferréol devient limonadier à Sainte-Foy-lès-Lyon. Avec sa femme Augustine Blanc, il tient un café-tabac sur la grande place. Puis le couple s'installe à Lyon car en 1901, il achète le Monaco Bar en centre-ville, près de la place Bellecour, ainsi que la Taverne de Genève, une boîte de nuit rue Ferrandière.

Le petit Marcel, qui prendra le nom d'Achard est né deux ans plus tôt, le 5 juillet 1899, à Sainte-Foy. Très tôt, son père l'envoie en pension avec son jeune frère chez les Lazaristes à Caluire, à l'Institut Rolin. Il faut dire qu'avec son bar et surtout sa boîte de nuit, il n'a guère le temps de s'occuper de ses enfants.

Marcel n'a donc pas connu de réelle vie de famille. Même à Noël. Plus tard, il écrira : "La pension, plus que la famille, donne une idée juste des choses. L'apprentissage de la vie y est plus dur mais plus efficace".

Bon élève, le jeune Marcel a toutefois de grosses lacunes en français. La faute à sa forte myopie qui l'handicapera dans sa lecture toute sa vie. Obstiné, il lit tout de même beaucoup de livres. Ce qui réveille en lui sa vocation d'écrivain.

A 11 ans, il se lance dans l'écriture d'une pièce de théâtre "Henri d'Auvergne". Quatre ans plus tard, à l'Institut Rolin, il montre "Tartufre", une parodie de la pièce de Molière.

Passionné de théâtre, il dépense tout son argent de poche pour s'offrir des places au poulailler des Célestins ou de l'Opéra de Lyon.

Au lieu de passer son bac, Marcel Achard se présente à l'examen du Conservatoire municipal situé quai de Bondy. Il doit jouer "Cyrano de Bergerac", mais sa myopie le fait multiplier les maladresses au moment de dire son texte. Le jury ne retient donc pas sa candidature. Mais il n'abandonne pas pour autant, et continue de faire du théâtre avec ses amis, jouant surtout du Sacha Guitry.

Ses parents exigent qu'il fasse un métier sérieux. Du coup, ils l'obligent à préparer le concours de l'Ecole normale, qu'il réussit brillamment. Il est ensuite nommé instituteur à Vaulx-en-Velin, mais démissionne au bout de quelques mois pour se consacrer à cette passion qui le consume de l'intérieur : le théâtre.

Le rêve et la misère

Début 1919, il part ainsi tenter sa chance à Paris. Les débuts du jeune Lyonnais à la capitale sont difficiles. C'est même la misère.

Quand il débarque sur place, il n'a que 500 francs en poche et doit loger dans un hôtel minable du Quartier latin. Malgré son absence de moyens, il se rue dans les plus grands théâtres. On y joue à l'époque "L'Aiglon" d'Edmond Rostand, "La rue de Paris" de Sacha Guitry…

Marcel Achard change aussi d'allure : il rase sa petite moustache et porte de grosses lunettes rondes à écailles. Des lunettes qui le rendront célèbre et qu'il gardera jusqu'à la fin de sa vie.

A Paris, on se moque de sa timidité, de son accent lyonnais prononcé, de ses lunettes. Personne ne veut lui donner du travail, sauf l'un de ses amis lyonnais, le journaliste Pierre Scize, qui lui décroche une place de souffleur au théâtre du Vieux Colombier. Mais toujours handicapé par sa myopie, il accumule les gaffes et se fait vite renvoyer.

Marcel Achard a alors 20 ans, pas de travail ni perspective sérieuse. Pourtant, il refuse de revenir à Lyon la queue entre les jambes.

Son sauveur sera un autre Lyonnais : l'écrivain Henri Béraud. Fils d'un boulanger lyonnais, lui aussi est monté à Paris pour réussir. Il a 35 ans, est un journaliste réputé et écrit des livres à succès, à tel point qu'il décrochera deux ans plus tard le prix Goncourt pour "Le vitriol de lune" et "Le martyre de l'obèse".

Les deux hommes se rencontrent sur les pentes de Montmartre. Henri Béraud vit rue Rochechouart et côtoie de nombreux artistes et journalistes, parmi lesquels plusieurs Lyonnais qui se sont lancés à la conquête de la capitale. Il y a l'auteur dramatique Michel Duran, le journaliste Pierre Scize, le sculpteur Danjou, le peintre Touchagues… "Une foule de gones qui rappliquaient les uns après les autres" comme l'écrit Béraud, voyant ces jeunes "qui fleuraient les Lyonnais à une lieue à la ronde".

Parmi eux, Marcel Achard, "un petit jeune homme blond et binoclard, plutôt malingre, riant tout seul et sifflotant. Vu de près, il semblait mis au monde pour égayer ses semblables. Tout dans sa figure avait le pli du rire, la bouche fendue en tranche de melon, les pommettes remontées, les sourcils circonflexes. Et ses yeux surtout, des yeux plissés de joie, écarquillés d'allégresse", comme le décrit l'écrivain. Henri Béraud le perce à jour : "Pourtant, sous cette humeur folâtre, on devinait une sorte de fausse assurance, d'attente craintive, presque d'anxiété".

Le mentor du jeune homme lui confie la rubrique des halles et marchés à l'Oeuvre, un journal anticonformiste pour lequel il travaille depuis des années. Puis la rubrique des spectacles.

En parallèle, Marcel Achard continue à écrire des pièces. Et en janvier 1923, il fait jouer sa première pièce, "La messe est dite", par une petite troupe au théâtre de l'Oeuvre. Déconcerté par un style inédit plein de cocasserie, le public réagit assez mal. Mais la critique est plutôt élogieuse, notamment celle d'un certain Henri Béraud…

Marcel Achard vit toujours dans la misère à Paris. Sa petite chambre d'hôtel n'est pas chauffée, alors il passe son temps au journal pour travailler. Pour arrondir ses fins de mois, il tourne de petits rôles dans des films muets.

S'il gagne de l'argent, il tendance à tout dépenser dans les courses, car c'est un incorrigible joueur. Mais aussi un fêtard, qui retrouve régulièrement sa bande de Lyonnais.

Le 15 avril 1923, il se marie avec Simone Morizot, la soeur d'un collègue journaliste. Mais quelques mois plus tard, elle meurt après avoir pris froid à la terrasse d'un café. Il apprend alors qu'elle était tuberculeuse.

En fin d'année, malgré ce drame, il rencontre enfin le succès avec sa pièce "Voulez-vous jouer avec moâ ?" dans laquelle il tient le premier rôle. C'est son ami Charles Dullin qui l'a montée au théâtre de l'Atelier et c'est le peintre Touchagues qui a conçu les décors. La connexion lyonnaise dans toute ses oeuvres !

La presse salue unanimement la pièce comme une oeuvre magistrale, pleine de grâce et d'esprit. Et le public parisien se précipite pour la voir. Cette histoire d'amour conçue comme un spectacle de cirque sera d'ailleurs jouée plus de 200 fois !

Marcel Achard devient le phénomène de l'année. "Son génie est celui de la fantaisie, une fantaisie qui déconcerte les aînés par ses brusques changements de plan et de lumière, la fantaisie d'une génération instruite au cinéma", écrit Henri Béraud.

Tout le monde s'arrache le Lyonnais, invité dans toutes les manifestations mondaines. De quoi attiser la jalousie de certains, et quelques critiques acides remettent vite en cause son talent, le traitant de "petit farceur assez roublard".

Sa deuxième pièce ne connait pas le même succès, mais permet néanmoins de révéler au public un très grand acteur : Louis Jouvet. Les deux hommes sympathisent, et Jouvet jouera le rôle principal, mettra en scène et réalisera les décors de "Malbrough s'en va t'en guerre", la nouvelle pièce de Marcel Achard fin 1924.

Un grand nom du théâtre

C'est la grande époque du théâtre à Paris, où le cinéma n'est pas encore très populaire. Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, sept grandes salles se partagent l'affiche, et notamment les deux salles fétiches du Lyonnais : L'Atelier de Charles Dullin et la Comédie des Champs-Elysées de Louis Jouvet.

Marcel Achard fait alors partie du gratin des auteurs de cette époque avec Marcel Pagnol, Sacha Guitry, Jean Anouilh, Edouard Bourdet, Fernand Crommelynck, Jules Romains ou Armand Salacrou.

C'est un auteur très productif, qui écrira une cinquantaine de pièces, surtout des histoires d'amour, avec toujours ce mélange de fantaisie et de mélancolie. Toutes ne sont pas des succès, mais celle qui le fait entrer dans la postérité, c'est indéniablement "Jean de la Lune", écrite en 1929 et inspirée d'une chanson populaire. Jouée plusieurs centaines de fois au théâtre des Champs-Elysées, en province et même à l'étranger, c'est un triomphe. Marcel Achard réussit l'exploit de trouver deux acteurs au style très opposé : Louis Jouvet, et son ton froid et cassant, face au jeune comédien débutant Michel Simon, qui s'exprime d'une voix pâteuse et bredouillante.

D'ailleurs, tout au long de sa carrière, le Lyonnais a le chic pour révéler et lancer de futurs grands comédiens. Arletty fait ainsi ses débuts dans sa pièce "Mistigri" en 1930. En 1935, il révèle Ginette Leclerc dans "Noix de coco", pièce dans laquelle Raimu joue le rôle principal et qui sera la première à être retransmise à la radio.

Marcel Achard, c'est aussi du cinéma. Et les films qu'il a écrit lancent aussi Danielle Darrieux (Mayerling), Michèle Morgan (Gribouille), Tino Rossi et Viviane Romance (Naples au baiser de feu), Gérard Philippe (Les Petites du quai aux fleurs)…

Le Lyonnais marque les 30 premières années du 7e art français, et adapte même ses pièces sur grand écran. "Jean de la Lune" avec Michel Simon et Madeleine Renaud, "Noix de coco" avec Raimu devant la caméra de Jean Boyer…

Quand éclate la guerre, Marcel Achard refuse de partir aux Etats-Unis comme on lui propose. Il continue donc à travailler mais se heurte à la censure de Vichy. Ça ne l'empêche pas de faire jouer "Mademoiselle de Panama" en janvier 1942, une pièce dont certaines répliques sont de véritables appels à la Résistance ! Logiquement, les Allemands interdisent l'adaptation de l'oeuvre au cinéma.

Adoubé à Paris comme à Lyon

A la Libération, il s'installe dans un grand appartement au coeur de Paris, rue de l'Université, près du palais Bourbon. Il va aussi acheter une grande maison de campagne dans les environs de la capitale. Marcel Achard gagne beaucoup d'argent, mène une vie très mondaine, reçoit beaucoup avec sa femme Juliette Marty qu'il avait épousé en 1925. Cette fille d'officier rencontrée à Pau est une femme douce et sensible, également excellente pianiste. Elle organise de somptueuses réceptions où se précipite le tout Paris.

Touche-à-tout, il se met aussi à écrire des sketchs pour la radio et même une comédie musicale pour Edith Piaf : "La P'tite Lili" en 1951.

Toujours très timide, Marcel Achard est poussé par Marcel Pagnol à se présenter à l'Académie où il est élu en 1959 à l'âge de 60 ans, à 17 voix contre 6 pour Jean Guitton et 5 pour Henri Bosco.

Durant toutes ces années parisiennes, Marcel Achard ne renie pas ses origines lyonnaises. En 1946 par exemple, les premières représentations de "Savez-vous planter les choux ?" ont lieu au théâtre des Célestins. En 1959, c'est encore à Lyon qu'on lui remet son épée d'académicien en présence de tous ses amis locaux : Charles Gantillon le directeur des Célestins, les acteurs Jean Amadou et Christian Marin. Un fabuleux banquet est donné.

Très sollicité, le Lyonnais préside le Festival de Cannes en 1960, puis la Mostra de Venise. Il donne des conférences, mène une vie très active tout en continuant à écrire. Et le 4 septembre 1974, il est foudroyé par une crise cardiaque à l'âge de 75 ans, quelques mois après son grand ami Marcel Pagnol, emporté par un cancer.

A Lyon, on ne rend guère hommage à cet immense nom du théâtre français et du cinéma d'avant-guerre. Un espace à son nom a vu le jour à Sainte-Foy-lès-Lyon, et accueille des artistes en émergence, amateurs ou professionnels.

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