Louise Labé, la poétesse lyonnaise aux multiples légendes

Louise Labé, la poétesse lyonnaise aux multiples légendes
Louise Labé, la poétesse lyonnaise aux multiples légendes - DR

Fille d’un marchand de cordages, Louise Labé est née à Lyon, dans les années 1520 à la Croix-Rousse.

On a assez peu de certitudes sur la vie de cette célèbre poétesse. Ce qui favorisera un certain nombre de légendes. Certains l’ont décrite comme une femme émancipée, voire légère. D’autres la considéraient comme une grande érudite. D’autres encore lui attribuaient des faits d’armes extraordinaires ou des amants célèbres… Aujourd’hui, une certitude, elle a laissé derrière elle une œuvre qui s’est imposée par son style simple, naturel et vivant.

Louise Labé est née autour de 1520, à la Gela, un domaine que son père possède sur les pentes de la Croix-Rousse, à l’emplacement actuel de la place du Lieutenant-Morel.

A cette époque, Lyon compte environ 40 000 habitants, mais elle est toujours coincée entre la colline de Fourvière, le Rhône et les remparts de la Croix-Rousse. La ville se peuple sans s’agrandir. Du coup, il y a une certaine densité d’habitation. La ville profite du grand essor de la Renaissance. On est même à l’apogée de la puissance lyonnaise.

Grâce à ses foires, la ville occupe une place de premier plan dans l’économie européenne. En effet, les rois Charles VII, puis Louis XI ont autorisé Lyon à organiser chaque année quatre foires franches qui durent quinze jours la foire des rois en janvier, celle de Pâques, celle du 15 août et la foire de la Toussaint.

Pendant ces foires, les marchands qui viennent à Lyon ne payent ni taxe ni impôt. Et les taxes étaient suffisamment lourdes pour que cette exemption provoque un afflux de commerçants de toute l'Europe, pour vendre beaucoup d’épices comme la cannelle, le gingembre, le poivre… Mais aussi de la soie qui vient d’Italie et d’Orient, des armes, des tapisseries qui viennent de Flandres…

Le pouvoir municipal est entre les mains du consulat et des douze échevins qui sont élus par les différents corps de métiers. Mais c’est le gouverneur qui représente le roi et qui tient la province sous son autorité. La présence du roi et de la cour attire une foule de personnalités importantes, cultivées et lettrées. Ce qui développe de façon spectaculaire la vie intellectuelle et artistique à Lyon. Le peintre Corneille de la Haye s’installe à Lyon où il réalise le portrait des grands seigneurs qui tournent autour du roi. Rabelais fait de Lyon son port d’attache comme plusieurs autres grands poètes : Clément Marot, Maurice Scève, Pernette du Guillet. C’est aussi la grande époque de l’imprimerie.

Une éducation mystère

Le père de Louise Labé, qui s’appelle en réalité Pierre Charly, mais on l’a surnommé Labé, est marchand cordier à Lyon, c’est-à-dire qu’il vend des cordes et des cordages. À l’époque, c’est une activité assez importante car les cordiers travaillent beaucoup pour la construction et les transports, notamment la navigation.

Les cordiers, ce n’est pas la grande bourgeoisie lyonnaise. Ce métier n’est pas le plus considéré dans l’échelle sociale des métiers, beaucoup moins considéré par exemple que les bouchers qui sont plus riches et plus puissants. Mais cette famille vit dans une bonne aisance. D’autant que les grands-parents maternels de Louise Labé sont eux-mêmes de gros artisans lyonnais.

La jeune Lyonnaise grandit dans un foyer assez illettré et frustre. Elle a des frères qui sont de bons gaillards, mais sans grande finesse.

On ne sait pas exactement quelle éducation Louise Labé reçoit. Seulement huit documents d’archives qui la concernent directement ont été retrouvés.

À Lyon à cette époque, il y a des écoles tenues par le chapitre de Saint Paul. Mais pour les filles, il n’y a rien. Elle apprendra donc à lire et à écrire soit dans un couvent soit chez une institutrice en chambre. On sait en revanche qu’elle sera également initiée à la musique où elle montrera un certain talent.

On a beaucoup fantasmé sur l’instruction de Louise Labé pour en faire une érudite… Mais il ne faut rien exagérer. En revanche, on est sûr qu’elle parlait l’italien, puisqu’elle a écrit un sonnet en italien. Sans doute a-t-elle appris cette langue en parlant avec des commerçants italiens qui vivaient à Lyon. Elle a aussi une certaine connaissance de la littérature latine. En fait, sa culture est assez large, mais pas très profonde.

On ignore l'âge à laquelle elle se marie, mais on sait qu’elle épouse un marchand cordier, comme son père, un certain Ennemond Perrin. C’est un personnage lui aussi assez pauvre intellectuellement, qui ne sait ni lire ni écrire.

Le couple s'installe dans une maison située à l’angle des actuelles rue Confort et rue de la République. Son mari possède aussi un certain nombre de propriétés, en particulier un domaine appelé la “Grange” à Parcieux en Dombes.

Ennemond Perrin est un commerçant assez prospère qui a des relations à Lyon et certaines responsabilités. Il est membre de la confrérie de la Trinité, un mouvement charitatif très actif sur la paroisse Saint Nizier.

Louise Labé n'a pas d’enfants connus. Son mari meurt vers 1557, elle en 1566. Les dernières années de sa vie, elle vit chez un ami, un marchand florentin, un certain Thomas Fortini. Et c’est lui qu’elle a désigné comme son exécuteur testamentaire. À sa mort, elle fait un certain nombre de legs à des églises, mais aussi à l’Hôtel Dieu et à la Charité. Elle ne possède pas une grosse fortune, mais un patrimoine de deux ou trois immeubles.

Elle est connue et reconnue de son vivant. En 1555, quand elle publie ses œuvres chez le grand imprimeur lyonnais Jean de Tournes, elle a même droit à une guirlande poétique, c’est-à-dire toute une série de poèmes en forme d’hommage offerts par des poètes et des écrivains. Ce qui est un privilège.

Tous ceux qui savaient lire à cette époque connaissaient Louise Labé. Mais ça ne faisait pas beaucoup de monde !

Louise Labé ne vivait donc pas de son oeuvre, mais plutôt du commerce de cordes que tenait son mari.

Des légendes à foison

On a beaucoup fantasmé sur les salons littéraires. D’ailleurs, à cette époque, il n’y a pas de salon à Lyon. À part celui tenu par Marie de Pierrevive à l’hôtel de Gadagne. Louise Labé ne s'y montrait sans doute pas car elle n’était pas d’un niveau social à fréquenter le salon qui recevait Catherine de Médicis quand la cour s’arrêtait à Lyon. En revanche, elle recevait chez elle des amis, des poètes.

On a également imaginé beaucoup de choses sur la vie privée de Louise Labé. D’un côté, certains ont voulu en faire un parangon de toutes les vertus. De l’autre, on l’a injuriée comme la pire des courtisanes et des prostituées. Comme son œuvre poétique ne parle que d’amour, d’un amour brûlant et douloureux, il est difficile de penser que ce soit avec son cordier de mari qu’elle ait eu l’occasion de vivre des amours aussi enflammés.

Il y a tout de même quelques indices troublants. De son vivant, la rue où elle habitait s’appelait la rue Belle Cordière, comme attesté par des documents d’archives. C’est tout de même étrange qu’une rue s’appelle du nom d’une femme qui l’habite.

Un texte de Calvin en latin parle crûment de Louise Labé qu’il appelle “plebeia meretrix” ce qui signifie en bon français, une prostituée de bas étage. Mais Calvin n’était pas un homme bienveillant…

Enfin, une gravure de Louise Labé, réalisée par le Lorrain Pierre Woeriot, est accompagnée de deux vers latins où elle est qualifiée de Laïs qui était une courtisane de l’Antiquité très célèbre.

Louise Labé ne fut pas la traînée dont parlent certains. Mais il est assez difficile de penser qu’elle ait été sans doute très fidèle à son mari.

Sur la gravure de Pierre Woeriot, elle a le regard froid de quelqu’un qui a perdu toute illusion. Disons qu’elle ne respire pas la candeur et l’innocence. Face à ce portrait, on comprend pourquoi Louise Labé inspirera de nombreuses légendes.

Certains racontent qu’elle aurait joué un rôle actif au siège de Perpignan en 1542 en portant elle-même l’épée. Elle se serait alors appelée le capitaine Louis. Ce qui paraît assez douteux. On a aussi écrit qu’elle aurait aimé d’un amour passionné le dauphin, qui deviendra le roi Henri II. Mais, là encore, cela paraît peu probable.

Pour connaître sa vie, la principale source, c’est son œuvre. Encore que son œuvre, c’est assez peu de choses : 24 sonnets, ce qui fait en tout 652 vers et environ 70 pages de prose avec notamment le “Débat de Folie et d’Amour”…

Quelques livres la concernant sont publiés après sa mort. Mais au XVIᵉ et au XVIIᵉ siècle, on l’a oubliée. Et c’est au XVIIIᵉ siècle que les milieux littéraires la redécouvrent. Elle a droit à un éloge de l’Académie en 1746 et ses œuvres sont rééditées en 1762 puis en 1824… Louise Labé acquiert une notoriété encore plus forte quand, en 1862, Sainte-Beuve lui consacre un de ses fameux lundis littéraires.

Ce qu’il y a de plus curieux, c’est l’extraordinaire excitation que suscitera Louise Labé chez les historiens de la littérature dans les années 1960. Chaque année, il paraissait plusieurs ouvrages sur elle, en Italie, en Pologne, en Angleterre, aux États-Unis, en Allemagne…

Pourtant on ne saura probablement jamais grand chose de sa vie… On étudiait son œuvre. Et comme son œuvre n’était pas immense, on se répétait. Et on s’acharnait à analyser les textes, les vers… Dans les années 60, un brave Belge voulait expliquer toute l’œuvre de Louise Labé par les anagrammes. Il était persuadé que chaque vers de Louise Labé cachait un sens secret qu’il fallait découvrir en agitant les lettres et en les mettant dans un autre ordre !

Une poésie qui installe le sonnet en France

Que ce soit la prose ou la poésie, son œuvre ne parle pratiquement que d’amour. Un amour douloureux, souffrant, un amour abandonné, trompé… Il n’y a pas d’amour heureux dans la poésie de Louise Labé. Au contraire, l’amour est souffrant. Et c’est le principal thème de son œuvre.

Ce qui frappe chez la Lyonnaise, c’est son style très vivant, naturel, dynamique. Elle n’invente pas des formules compliquées. Son vocabulaire est simple, elle utilise les mots de tous les jours… Le génie de Louise Labé, c’est la simplicité. Et, c’est ce qui fait d’elle une très grande poétesse.

Louise Labé est intéressante d’abord parce qu’elle a définitivement installé le sonnet dans la poésie française. Les sonnets sont des poèmes qui ont une forme bien définie, soit par le nombre de vers, soit par les rimes. Et ils exigent une parfaite maîtrise de la langue. Or le succès des sonnets de Louise Labé ont assuré celui du genre. Dans ces sonnets, il y a une puissance d’évocation et d’expression, une intensité de sentiments, une pureté et une simplicité de langage… Ce sont de véritables chefs d’œuvres.

Il est difficile de penser que tout ça ne sort que de son imagination. D’autant plus que Louise Labé n’a pas une poésie fabriquée, imaginée… C’est une poésie vécue. Elle ne cite jamais de noms, de lieux. Sa poésie est d’une extrême pudeur alors qu’à l’époque, tous les poètes écrivent parfois des poèmes très crus. Chez elle, c’est toujours la simplicité qui domine.

Dans l’œuvre de la poétesse, il n’y a rien de religieux. C’est une amoureuse qui souffre. Et ce qui frappe, justement, c’est cette absence totale de référence religieuse. Si le XVIᵉ siècle est un siècle chrétien, cela n’empêchait pas l’existence d’une sorte de paganisme, notamment dans les milieux de lettrés. Et on peut se demander si Louise Labé n’en participait pas.

Si elle ne parle pas de religion dans ses poèmes, elle rédige cependant un testament chrétien. La dernière phrase de ce texte est assez émouvante : “Veut être enterrée en la paroisse du lieu où elle décédera et veut être enterrée sans pompe ni superstition, à savoir de nuit, à la lanterne, accompagnée de quatre prêtres, outre les porteurs de son corps”.

Louise Labé, c'est évidemment aussi un féminisme assumé. Elle dédie par exemple ses œuvres à une Lyonnaise, plus jeune qu’elle et issue d’un milieu beaucoup plus relevé, Clémence de Bourges, qui fait partie d’une famille de gros marchands lyonnais ayant accédé aux charges d’échevinage. Dans sa dédicace, Louise Labé regrette que les hommes empêchent les femmes de s’instruire. Elle estime au contraire que les femmes doivent travailler, perfectionner leur talent et s’imposer. Mais le féminisme de Louise Labé est assez particulier. Ce n’est pas un féminisme agressif, ni combatif. C’est un féminisme de fierté.

Ce qu’il y a de plus intéressant sur Louise Labé, c’est finalement son œuvre, pas le personnage et la légende qui l’entourent.

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