Celui où le théâtre devient une véritable scène diplomatique et politique. Sur un sujet très mal connu des français et expliqué avec talent, pédagogie et en assumant les désaccords internes de la société taiwanaise.
Ici, pas de comédiens professionnels : trois experts de leur propre vie incarnent Taïwan dans toute sa complexité. L'ancien diplomate David Wu, la musicienne et héritiére d'une chaine de bubble tea Debby Wang et l’activiste numérique Chiayo Kuo — qui tous jouent leur propre rôle — interrogent en direct ce que veut dire "représenter un pays" que le monde refuse d’appeler ainsi. Il n'existe plus que 12 pays au monde qui reconnaissent Taiwan (appelée République de Chine de son nom officiel, qu'elle n'a pas souvent le droit d'utiliser).
Entre débats sur les symboles nationaux, évocations de la possible invasion chinoise (avec la scène dantesque d'ouverture où est projeté sur un drapeau blanc la hantise de tout taiwanais et toute taiwanaise) et humour doux-amer sur la « diplomatie du bubble tea à mesure que sont supprimées les ambassade», le spectacle fait de chaque spectateur le récipiendaire éphémère de l'histoire de l’île. Et des lâchetés des puissants dans leurs manques face à une des démocraties les plus avancées du monde.
En tant qu’ami de Taïwan, j’y ai trouvé un délice d’intelligence et de sensibilité. Cette représentation fut aussi l’occasion d’échanger avec Chiayo Kuo et d’esquisser de nouvelles pistes de travail communes autour des liens culturels et citoyens entre l'Europe et Taïwan.
Un théâtre nécessaire, audacieux et profondément humain — à l’image du festival Sens Interdits lui-même.
Romain Blachier