Sébastien Broquet : Par rapport au projet actuel des Subs, qui était porté jusqu’à cet été par Stéphane Malfettes, que souhaitez vous conserver et que souhaitez vous apporter de nouveau ?
Margot Videcoq : J’ai évidemment imaginé un projet et je souhaite le concrétiser tel que je l’ai présenté au jury, dans la mesure du possible ; mais l’étape cruciale pour sa réalisation, ça va être la rencontre avec l’équipe permanente et intermittente des Subs, que je commence à découvrir. Leur retour sur ce que je vais proposer va être important : il faudra voir ce qui leur paraît réalisable et juste par rapport à leur connaissance de l’outil et du territoire. Une partie de mon projet est encore une fiction et je dois le mettre à l’épreuve de ce dialogue constructif.
Ce qui me tient à cœur, c’est évidemment de maintenir l’identité absolument inclassable des Subs qui en fait un lieu unique à Lyon, dans la Région et, je crois, en France. Un endroit sans étiquette, qui n’a aucune discipline majoritaire, qui va accompagner des artistes issus du champ chorégraphique, du théâtre, des arts visuels, de la performance, de la musique, qui va programmer et accueillir des artistes dans les différents espaces qu’offre cet espace patrimonial, lequel va être pour moi un bijou de terrain de jeu curatorial.
Ce que je souhaite également préserver, c’est d’être un lieu qui puisse drainer beaucoup de monde et notamment un public qui puisse se réunir par la fête : c’est un moment nécessaire pour les habitants d’une ville.
Je veux conserver la possibilité d’accompagner des artistes qui eux-mêmes ne se revendiquent d’aucune discipline, qui sont à cheval sur plusieurs pratiques, plusieurs médiums, plusieurs écoles et qui peuvent brasser des communautés variées. Les Subs sont un lieu de résidence sur le long terme : il y a 18 chambres pour accueillir les artistes au travail, qui peuvent expérimenter et dans ce cadre rencontrer régulièrement le public. C’est une donne que je découvre en rencontrant l’équipe : il y a ici un public féru et curieux de ces moments de rencontre avec les artistes, ce qui me semble assez exceptionnel car habituellement dans les lieux de spectacle, ces étapes de travail ne sont pas les moments les plus fréquentés...
Ce que je souhaite renforcer — Stéphane Malfettes l’a déjà mis en place ces dernières années —, c’est faire des Subs un lieu de vie où l’on va passer du temps pour prendre un café, l’apéro, travailler, faire des rendez-vous ; notamment durant le printemps et l’été lorsque les espaces extérieurs sont très fréquentés par les habitants.
Je souhaite également dynamiser l’offre pour les enfants en les intégrant le plus possible à la pensée et à la fabrication du lieu.
Vous avez annoncé dans le communiqué annonçant votre nomination vouloir programmer en quatre temps forts ?
Exactement. C’est ma façon de penser la programmation et Les Subs sont un lieu idéal pour travailler de cette manière : en éditorialisant les contenus. L’idée, c’est de ne pas faire une saison avec une suite d’événements isolés, comme les théâtres ont pu avoir l’habitude de le faire de septembre à juin. Mais de créer des repères dans la programmation : sur les quatre temps forts de saison — automne, hiver, printemps, été —, il y aura un focus qui pourra rassembler les publics et les œuvres autour de questions sociales et sociétales fortes.
À l’automne prochain, avec l’ENSBA — Les Subs ont cette chance inouïe de partager un site avec des étudiants et des professeurs d’une école supérieure d’art —, j’aimerais que la rentrée se fasse ensemble, autour de la question de la transmission et de la performance, cette forme qui a émergé dans les années 1970 aux États-Unis, émanant des arts visuels. Cette discipline se transmet aujourd’hui beaucoup dans les écoles d’art et notamment à Lyon. L’idée est de concevoir un programme ensemble, en associant les écoles de théâtre et CinéFabrique. Ce sera notre premier temps fort, autour de la performance.
L’hiver, j’aimerais maintenir le temps fort imaginé par Stéphane Malfettes qui s’appelle Sauve qui peut la vie, autour des questions actuelles et brûlantes liées au numérique, en partant du principe que le numérique n’est pas une discipline en soi. Donc, en le pensant de façon extrêmement transversale et hybride, en dialogue avec les acteurs locaux, notamment AADN et le Pôle Pixel et dans un esprit ludique et critique alliant expositions, installations, performances, ateliers et tables rondes.
Le printemps s’articulera autour des questions liées au geste et au son traditionnels, que la création contemporaine, aujourd’hui, revisite. Avec ce qui se transmet de génération en génération, notamment dans les zones rurales, et qui donne des formes très différentes : du spectacle de danse de Madeleine Fournier à la musique de La Nòvia en passant par le bal trad.
C’est votre expérience aux côtés de la musicienne folk Emmanuelle Parrenin qui vous a inspiré cette programmation ?
Bien sûr ! Dans ma jeunesse, j’ai été attachée de presse au sein de l’agence Pierre Laporte Communication, en sortant de l’école de danse du CNDC d’Angers — j’avais d’ailleurs dansé ma pièce de fin d’étude aux Subs. Je n’avais pas envie d’être artiste, mais je voulais travailler dans la culture. Grâce à ce premier job, j’ai travaillé pendant presque quatre ans avec plusieurs institutions et artistes et c’est comme ça que j’ai rencontré, notamment, la figure de la techno de Détroit, Jeff Mills : un chouchou des Lyonnais, que j’ai accompagné pendant plusieurs années, puisque j’ai été ensuite en indépendante son attachée de presse internationale.
Bien plus tard, j’ai rencontré par l’intermédiaire d’amis musiciens Emmanuelle Parrenin, j’ai tellement aimé son histoire, son retour à la musique… C’était au moment où le petit label francilien Les Disques Bien découvrait son travail, après des années de disparition, bien après son album culte Maison Rose, et l’accompagnait pour son retour à la scène avec un album intitulé Maison Cube. J’ai découvert qu’au sein des rédactions de presse se cachait presque toujours un fan d’Emmanuelle Parrenin ! C’était passionnant. C’est quelqu’un que j’aurais grand plaisir à inviter aux Subs ! Un puits de connaissance sur le collectage et le folk français, elle est très curieuse dans sa manière de croiser sa musique, notamment avec Étienne Jaumet.
Vous avez ensuite passé de longues années à la direction des Labos d’Aubervilliers ?
Après avoir été attachée de presse, j’ai rejoint en tant qu’administratrice la chorégraphe Latifa Laâbissi à Rennes. C’est grâce à elle que j’ai mis le pied pour la première fois dans la programmation, en concevant en sa compagnie une carte blanche au centre chorégraphique de Montpellier puis un festival de danse en milieu rural. Ça a marqué mon parcours.
Ensuite, j’ai poursuivi les deux facettes complémentaires de mon métier. J’ai continué d’accompagner des artistes en administration et en développement. En parallèle, j’ai développé une activité de programmatrice indépendante : par exemple pour le musée du Quai Branly qui m’avait commandé une soirée de performances en lien avec une exposition passionnante autour de la Negro Anthology de Nancy Cunard ; et j’ai créé un festival avec le programmateur musical David Sanson, qui s’appelait la Biennale du Divers — en hommage à Édouard Glissant —, au Collège des Bernardins.
Aux Laboratoires d’Aubervilliers, ç’a été l’adéquation parfaite entre programmation et accompagnement d’artistes. J’ai candidaté avec deux artistes que j’accompagnais déjà, Pascale Murtin et François Hiffler, plus connus sous le nom de Grand Magasin, qui créent depuis les années 1980 des spectacles qui me font beaucoup rire autour du langage. Nous avons imaginé durant deux mandats de trois ans un programme autour du langage, de l’espace public, avec une attention importante aux écoles d’art.
Quelle vision avez-vous de la scène artistique lyonnaise et avez-vous déjà repéré des gens avec qui vous voulez travailler ?
Bonne question, mais je préférerais répondre dans quelques mois ! J’ai déjà rencontré dans les écoles de jeunes artistes géniaux avec lesquels j’aimerais travailler.
Je connais plus la scène chorégraphique lyonnaise, comme Vânia Vaneau et Katerina Andreou. J’aime énormément le travail de celui qui sera un compagnon de route, No Anger. Un artiste handi et queer basé à Lyon dont le travail est d’une puissance inouïe, qui va m’amener à déplacer mon regard et ma façon d’accompagner un créateur.
J’aime l’architecte et designer Sara de Gouy, pour son travail de co-création avec les enfants, sans oublier le génial duo musical franco-chilien, associé par Stéphane Malfettes au lieu pour trois ans : Nova Materia. Ce ne sont pas des Lyonnais, mais ils seront en résidence longue et feront des collaborations avec les artistes de Lyon et de la région. Pour commencer : une création avec La Nòvia en septembre prochain.
Vous allez arriver en pleine campagne des municipales, avant un potentiel changement d’exécutif : est-ce que ça a pu vous faire peur avant de candidater ?
Pour le moment, je reste confiante sur le fait qu’un projet aussi ouvert et rassembleur que le mien puisse trouver un écho auprès d’une équipe municipale, quelle qu'elle soit. L’équipe en place me réserve un accueil très chaleureux et je vais rencontrer le maire Grégory Doucet en janvier.
Vous semblez avoir un lien particulier avec le Brésil ?
Ouiiii ! J’y ai vécu deux ans. Je suis extrêmement sensible à ce pays. Après le lycée, j’ai décidé de poursuivre mes études à Salvador de Bahia, je suis passé de ma licence de lettres à une licence en arts du spectacle et j’ai réalisé mon master là-bas, j’allais à l’école de danse de l’université la journée et j'étudiais le soir les danses de transe du candomblé, le vaudou brésilien…
Propos recueillis par Sébastien Broquet