Bertrand Tavernier, l’élégance de la transmission

Bertrand Tavernier, l’élégance de la transmission

Alors que s'ouvre cette semaine le Festival Lumière, difficile de ne pas évoquer celui qui a oeuvré aux côtés de Thierry Frémaux pour redonner à Lyon son statut de capitale mondiale du cinéma.

Lorsqu’on lui demandait son rapport au grand écran, Bertrand Tavernier parlait d’amour du cinéma. Un euphémisme pour une passion qui l'a animé furieusement tout au long de sa vie. Cinéphile boulimique et insatiable, le réalisateur lyonnais était épris d’une “mania” dont ont émergé des futurs classiques du cinéma français, tels que Quai d’Orsay, Dans la brume électrique ou Le juge et l’assassin.

Le 15 avril 1941 naquit à Lyon Bertrand Tavernier, fils du poète et homme de lettres très actif durant la Résistance, René Tavernier, devenu célèbre en publiant secrètement les poèmes de Louis Aragon. Bertrand, quant à lui, manifesta très tôt un grand intérêt pour le 7e art, alors qu’il résidait dans un sanatorium où il était soigné pour une tuberculose.

Plus tard, il partagea les bancs de l’école avec l’une des futures figures de la scène cinématographique allemande, Volker Schlöndorff. Une rencontre décisive qui renforça encore sa passion pour le cinéma.
Bien décidé, il fit ses premiers pas dans le milieu comme collaborateur des revues Positif et Les Cahiers du cinéma.

Rapidement, le jeune Bertrand se vit proposer un poste d’assistant sur le film Léon Morin, prêtre, après une interview de Jean-Pierre Melville. Un pied définitivement mis à l’étrier puisqu’en 1973, il sortait son premier long-métrage intitulé L’horloger de Saint Paul. Ce premier succès marquait le début d’une longue collaboration avec Philippe Noiret, acteur complice qui le retrouvera à de nombreuses reprises.


Tout au long de sa carrière, Bertrand Tavernier eut à cœur de chérir ses acteurs, réalisant lui-même ses castings. Il arpentait les théâtres parisiens pour y repérer ses futurs seconds rôles parmi les comédiens. Son affection pour ses acteurs était notoire, illustrant une volonté de partage qui composait sans doute l’un des ressorts de son succès. Ses films furent salués par la critique et rencontrèrent un large public, faisant de Bertrand Tavernier une figure importante de la réalisation française.

Un statut confirmé par sa prestigieuse présidence de l’Institut Lumière, qu’il a dirigé jusqu’à son décès, le 25 mars 2021. "Loin des engagements éphémères, je suis très heureux de pouvoir continuer à accompagner cette maison à l'existence de laquelle personne ne croyait lors de sa création, déclara-t-il. Il fallait à l'époque mettre une rue de Lyon, lieu de tournage du premier film Lumière, sur la carte du monde et cela a été fait de manière magistrale.” 



Un dimanche à la campagne, film culte



Aristote nous a enseigné que même au fond d'un trou ou d'un puits, il arrivait qu'on aperçoive les étoiles. C'était sans doute une galaxie entière que Bertrand Tavernier avait commencé à voir, en entamant Un dimanche à la campagne, projet réalisé par défaut, alors qu’il attendait des financements pour La petite sœur. Il est maintenant considéré comme l’une de ses œuvres les plus réussies, peut-être même l’une des plus belles du cinéma français.

L’histoire s’appuie sur un roman de Pierre Bost, intitulé Monsieur Ladmiral va bientôt mourir. Il y raconte une journée d’été bien ordinaire d’un peintre aussi académique qu’âgé. Comme tous les dimanches, il reçoit son fils Gonzague-Edouard (Michel Aumont), accompagné de sa femme et de ses trois enfants. Plus tard dans la journée, ils sont rejoints par Irène (Sabine Azéma), sa fille. Bertrand Tavernier y dresse le portrait d’un père veuf et de son fils en dévotion filiale, mais mal aimé. Peu à pey se forme un schisme œdipien du fils incapable auquel le père n’a donné aucune ambition. Sa sœur, résolument moderne, est en parfaite opposition avec lui. Elle fume, conduit, fait du commerce et a même un amant. Pourtant derrière son apparente liberté se cache un manque de repère : elle court partout sans jamais savoir où est sa place, oscillant entre dépression et moments d’euphorie.
À cette lecture s’ajoute une dimension proustienne, symbolisée par la scène durant laquelle Mireille, la petite-fille de Ladmiral, mange une madeleine devant la cheminée de la maison.

Il est grandement question du passé, des souvenirs et des réminiscences de l’enfance. Enfin, c’est aussi une profonde réflexion sur le statut de l’art, sur les relations entre la peinture et la photographie, les classiques et les modernes, en pleine époque impressionniste - mouvement pictural dont s'imprègne allègrement l’imagerie du film.
C’est un succès, l’équipe reçoit le César de la meilleure photographie, du meilleur scénario et Sabine Azéma, qui brille littéralement, décroche le César de la meilleure actrice. Bertrand Tavernier s’est également vu décerner le prix de la mise en scène à Cannes.

Constance Henry

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